République Démocratique du Congo : Les avocats victimes collatérales du conflit armé et de l’effondrement du système judiciaire
Paris, le 2 juin 2025 – L’Observatoire international des avocats en danger est gravement alarmé par la situation des avocats dans la province du Nord-Kivu, en République Démocratique du Congo (RDC), où l’occupation partielle du territoire par le groupe armé M23 a plongé le système judiciaire dans une crise profonde.
Depuis plusieurs mois, la province du Nord-Kivu, en RDC, est le théâtre d’un conflit armé non-international opposant les forces armées congolaises à la rébellion du M23 [1], un groupe armé non étatique occupant actuellement de larges portions du territoire, dont la ville stratégique de Goma. Cette situation de crise prolongée a entraîné un effondrement de l’ordre juridique établi et la mise en place d’un système parallèle de justice sous le contrôle du M23.
Le Barreau du Nord-Kivu est aujourd’hui divisé entre les zones occupées (Goma) et celles sous autorité gouvernementale (Grand Nord). Cette dualité géographique entrave gravement son fonctionnement et sa capacité à défendre efficacement les justiciables.
Dans les zones sous contrôle du M23, les avocats sont confrontés à un climat d’intimidation constant : arrestations arbitraires, menaces, pressions pour renoncer à certaines affaires. Plusieurs confrères sont détenus sans fondement ou directement visés par des menaces. Le simple exercice de défense expose les avocats à des représailles immédiates des autorités de facto.
Le M23 a mis en place un système judiciaire parallèle à celui en place. Des individus non habilités, parfois formés dans des camps militaires, rendent des décisions sans fondement légal. L’indépendance des avocats est alors inexistante : toute action en défense peut être perçue comme une opposition politique, avec le risque d’arrestation ou de représailles physiques.
Des dynamiques similaires émergent à Bukavu (Sud-Kivu), où des pressions croissantes s’exercent également sur les avocats et magistrats dans un contexte d’insécurité croissant. Les conséquences humaines de cette crise régionale sont déjà dramatiques, entre exils forcés, justice populaire et détentions extrajudiciaires.
L’Observatoire rappelle que, conformément à l’article 3 commun aux Conventions de Genève et aux principes fondamentaux du droit international humanitaire, les avocats, en tant que civils, doivent être protégés contre toute forme de violence, notamment : « a) les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ; b) les prises d’otages ; c) les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ; d) les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés. »
Par ailleurs, l’Observatoire exhorte les parties au conflit de respecter ses engagements en vertu du Protocole Additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II) du 8 juin 1977, notamment son article 1.1, qui dispose que « Le présent Protocole s’applique à tous les conflits armés (…) qui se déroulent sur le territoire d’une Haute Partie contractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés placés sous une direction responsable, exerçant un tel contrôle sur une partie du territoire qu’ils sont en mesure de mener des opérations militaires continues et concertées. »
Le harcèlement systématique dont sont victimes les avocats dans les zones contrôlées par le M23 constitue une violation grave du DIH et doit faire l’objet d’une attention immédiate de la communauté internationale.
[1] « Mouvement du 23 mars », formé en 2021 par des membres des forces armées de la RDC (FARDC) et soutenu par les forces armées rwandaises.