Tunisie : la condamnation d’Ahmed Souab, lauréat du prix Ebru Timtik, marque une escalade de la répression contre les avocats
Nos organisations condamnent fermement la condamnation, le 31 octobre 2025, de l’avocat et ancien magistrat tunisien Ahmed Souab, qui a été condamné à cinq ans de prison et trois ans de contrôle administratif par le tribunal de première instance de Tunis.
Ahmed Souab, 68 ans, a été poursuivi en vertu de la législation antiterroriste tunisienne pour « formation et organisation d’un groupe terroriste » et « diffusion de fausses informations », respectivement en vertu de la loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015 et du décret-loi n° 54 de 2022.
Me Souab a été jugé dans le cadre d’une procédure extrêmement brève, l’audience ayant duré moins de dix minutes. Il n’était pas présent physiquement à l’audience, ayant refusé de comparaître par vidéoconférence, un mode de comparution qu’il jugeait incompatible avec le bon exercice de son droit à la défense. Malgré les objections des avocats de M. Souab présents dans la salle d’audience, qui ont fait valoir qu’au nom du droit à un procès équitable et à la défense, il devait avoir le droit de comparaître en personne devant le tribunal et de présenter sa défense, assisté par l’avocat de son choix, la Cour a ignoré ces préoccupations, a poursuivi sans l’entendre ni entendre ses avocats, et s’est retirée après environ sept minutes pour délibérer et rendre sa décision.
Cette condamnation n’est pas un événement isolé, elle s’inscrit dans un contexte plus large d’érosion de l’État de droit en Tunisie : instrumentalisation de la justice, atteintes à l’indépendance judiciaire et recours croissant à des procédures exceptionnelles contre les opposants politiques et les défenseurs des droits humains.
Ancien juge administratif devenu avocat, Ahmed Souab est connu depuis longtemps pour son engagement en faveur de l’indépendance judiciaire et de la défense des libertés fondamentales. En juin 2025, il a reçu le prix Ebru Timtik en reconnaissance de son engagement et de son sacrifice exceptionnels pour défendre le droit à un procès équitable. Il a représenté des magistrats révoqués et des prisonniers politiques et a dénoncé publiquement les pressions exercées sur le pouvoir judiciaire dans l’affaire dite du « complot contre la sûreté de l’État ». Son arrestation en avril 2025 fait suite à ses dénonciations publiques de ces pressions.
Nous rappelons que la liberté des avocats, l’indépendance judiciaire et le droit à un procès équitable ne sont pas des choix ou des circonstances politiques, mais des obligations découlant du droit international et des normes juridiques professionnelles, notamment du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, auxquels la Tunisie est partie, ainsi que de la Constitution tunisienne.
L’affaire Ahmed Souab a des conséquences importantes, non seulement pour l’individu, mais aussi pour la profession juridique elle-même. Elle soulève des questions cruciales sur la capacité des avocats à exercer librement leur profession, l’efficacité du droit à un procès équitable et l’indépendance du pouvoir judiciaire, qui sont tous des piliers essentiels de la démocratie.
La condamnation d’un avocat engagé dans la défense de ces principes et droits, à l’issue d’une procédure accélérée ne garantissant pas suffisamment un procès équitable, envoie un signal inquiétant à la communauté juridique et à la société tunisienne dans son ensemble.
Nos organisations appellent les autorités tunisiennes à :
- Annuler immédiatement et sans condition la condamnation d’Ahmed Souab et garantir sa libération immédiate ;
- Mettre fin à leurs attaques contre la profession juridique indépendante et respecter et garantir que les avocats, comme toutes les personnes, puissent exercer leurs libertés fondamentales, y compris la liberté d’expression.
Nos organisations souhaitent enfin rappeler que « lorsqu’un avocat est attaqué, c’est la justice elle-même qui est attaquée ».
Nos organisations réitèrent leur soutien inconditionnel et leur entière solidarité à Ahmed Souab, ainsi qu’à tous les avocats tunisiens qui, dans l’exercice de leur profession, font l’objet de représailles pour avoir défendu les droits humains et l’État de droit.
